Peter Bieri (1944 - ....)

La dignité humaine

Une façon de vivre


  • Introduction. La dignité, une forme de rencontre

  • La dignité de l'homme telle que je la conçois et la commente ici est une certaine manière de vivre une vie d'homme. (p.10)

  • On peut distinguer trois dimensions dans le mode d'existence de la dignité. La première est la façon dont je suis traité par les autres.[...] Pour bien avoir cette dimension à l'esprit, je me suis interrogé : que peut-on bien retirer à quelqu'un dont on veut anéantir la dignité ? Ou encore : que ne doit-on retirer en aucun cas à quelqu'un dont on veut protéger la dignité ? ... La deuxième dimension concerne elle aussi les autres, les gens avec lesquels je vie. [...] Il s'agit de celle dont je les traite ... (p.10)

  • Dans la troisième dimension, c'est moi, de nouveau, qui décide de ma dignité. Il s'agit de la manière dont je me positionne par rapport à moi-même. (p.11)

  • Souvent, les expériences dans lesquelles notre dignité est en jeu possèdent cette complexité spécifique : la manière de nous positionner par rapport à nous-mêmes caractérise notre position à l'égard des autres, et cette relation caractérise la manière dont les autres peuvent décider de notre dignité, la latitude qu'ils ont de le faire. (p.11)

  • Nous ressentons la perte de notre dignité comme un malheur au sens d'une infamie. (p11)

  • Après l'infamie que constitue une faute ineffaçable, c'est la deuxième à remettre en question notre volonté de continuer à vivre. (p.11)

  • I. La dignité en tant qu'autonomie

  • Dans des situations de perte d'autonomie, de dépendance ou d'impuissance, nous avons le sentiment que notre dignité se perd. (p.15)

  • L'image que nous avons de nous-mêmes en tant que sujets n'est pas seulement une image de comment nous sommes, c'est aussi une représentation de comment nous aimerions être et devrions être. (p.18)

  • En tant que sujets, nous ne voulons pas n'être qu'utilisés. Nous ne voulons pas n'être qu'un moyen au service d'un but que d'autres fixent, et qui est le leur et non le nôtre. Ce que nous voulons, pourrait-on dire, c'est d'être considérés et traités comme une finalité propre, une fin en soi . Ne pas se voir traité ainsi est désagréable, mais c'est aussi bien davantage : nous nous sentons méprisés ou même niés en tant que sujets. Lorsque cela se produit, nous le ressentons comme une tentative visant à nous priver de notre dignité. (p.19)

  • Décider librement est une condition nécessaire de la dignité. Est-ce aussi une condition suffisante ?. (p.26)

  • On n'a pas le droit de galvauder sa dignité délibérément. (p.26)

  • ...nos jugement sur la dignité ne dépendent pas que de nos actes, mais aussi de la situation. (p.27)

  • L'humiliation n'apparaît qu'à partir du moment où un individu en met volontairement un autre en situation d'impuissance. (p.28)

  • La dignité, c'est le droit de ne pas être humilié. (p.30)

  • Les droits constituent un bastion contre la dépendance à l'égard de l'arbitraire. (p.31)

  • Les droits sont un rempart contre l'impuissance. (p.32)

  • Une souffrance qui n'est pas ressenti comme telle n'en est pas une, car la souffrance n'est pas une catégorie objective, mais subjective, liée au vécu. (p.47)

  • La solitude et le désespoir, en soi, ne mettent pas la dignité en danger. (p.56)

  • La dignité n'implique pas de n'avouer aucune faiblesse. (p.57)

  • La manière dont nous vivons et ressentons notre vie, y compris notre vie intérieure, est abondamment soumise à l'influence des autres. (p.58)

  • Qu'elle est donc la différence entre l'autonomie et une dépendance intérieure qui met la dignité en péril ? (p.58)

  • La dignité de l'autonomie intérieure n'est pas liée à la réussite d'un objectif, mais la conscience de celui-ci et à la tentative faite pour l'atteindre. [...] Ce qui est sans dignité, ce n'est pas la tentative ratée, mais l'absence de tentative. (p.61)

  • Dans quelle mesure notre dignité dépend-elle du contrôle que nous exerçons sur nos affects ? (p.65)

  • Le besoin d'autonomie intérieure n'est pas sans rapport avec celui de se connaître, de comprendre pourquoi notre vie est telle qu'elle est. (p.71)

  • Il importe de discerner les courants souterrains qui président à nos sensations, nos désirs et nos représentations, car ils déterminent notre vie sans que nous le sachions. (p.72)

  • Lorsque quelqu'un réussit à approfondir la connaissance qu'il a de lui-même, le danger d'impuissance et d'humiliation diminue. (p.72)

  • Savoir que toute autonomie intérieure est fragile, comme bâtie sur du sable, cela fait partie de la dignité d'un homme. (p.76)

  • II. La dignité en tant que rencontre

  • Car le modèle de compréhension, [de l'autre] nous le suivons nous aussi : nous expliquons ce que nous faisons en disant ce que nous ressentons. (p.86)

  • La reconnaissance [de l'autre], c'est l'estime, son ennemie, c'est le mépris. (p.95)

  • La dignité qui ne dépend pas de nous seuls, mais de la manière dont les autres nous traitent, a beaucoup à voir avec l'expérience de l'égalité des droits : ayant les mêmes droits que tous les autres, nous sommes traités comme eux pour ce qui est important. Lorsqu'on nous conteste des droits valables pour d'autres, que l'on nous en prive, cela nous irrite au plus haut point. Nous nous sentons blessés dans notre dignité et la rancoeur que nous ressentons ne ressemble à aucune autre. (p.97)

  • La conscience de la discrimination entraîne une menace pour la dignité. (p97)

  • N'être qu'un objet et un simple moyen d'amusement, voilà qui menace la dignité. (p.99)

  • Sur une autre foire, celle de mon enfance, il y avait des tentes dans lesquelles s'exhibaient des gens difformes : la grosse Bertha, une femme d'une corpulence qu'on n'aurait pas cru possible, un homme ayant six doigts à chaque main, des siamois. Il régnait dans ces tentes un silence très particulier, personne ne parlait. Je pense que deux choses différentes laissaient les spectateurs sans voix : d'une part, la répulsion liée aux difformités elles-mêmes, de l'autre, le fait qu'elles étaient exhibées pour de l'argent. À la sortie, ma mère disait : « Dire qu'on autorise ce genre de choses ! » Et moi, je répondais : « Oui, mais on est entrés et on les a regardées ! » (p.99/100) (YF : je mets en gras)

  • Ce que nous sommes est entièrement défini par ce que nous ressentons et faisons d'un côté, par la perspective de l'image que nous avons de nous-mêmes de l'autre, et par leur alternance complexe. (p.121)

  • La dignité n'est pas sans rapport avec l'aptitude à se laisser modifier par une relation; et cela va jusqu'à l'aptitude à mettre fin à celle-ci. (p.139)

  • III. La dignité en tant que respect de l'intimité

  • La dignité d'une personne a beaucoup à voir avec son besoin de bien séparer ce qui ne concerne qu'elle et ce que d'elle d'autres peuvent également savoir d'elle. (p.143)

  • La ligne de séparation entre privé et public fait l'objet d'une appréciation différente selon les personnes : ce qui pour les unes se trouve en deçà et doit rester caché se trouvera pour les autres au-delà et pourra être visible. (p.143)

  • IV. La dignité en tant que véracité

  • Les mensonges sur lesquels on batît sa vie sont des entraves au caractère vivant de la vie. (p.199)

  • Car avoir une idée fondée sur la raison, c'est avoir l'idée de quelque chose qui implique que ce que l'on croit a davantage de chances d'être la vérité. (p.215)

  • V. La dignité en tant que respect de soi

  • La dignité d'un homme au sens du respect qu'il a de lui-même suppose qu'il n'est pas prêt à tout pour atteindre un but. Il y a des limites à ses actes, des choses qu'il ne ferait sous aucun prétexte, quel que soit l'avantage qu'il est retirerait. Pour pouvoir se respecter, il doit rester à l'intérieur de ces limites. S'il les dépasse, il perd le respect qu'il a de lui-même. Ces limites font partie de l'image qu'il a de lui. C'est elle qui rend les limites compréhensibles : je ne fais pas certaines choses parce que cela irait à l'encontre de mon image de moi et mettrait en danger mon identité. Se préoccuper de son respect de soi, c'est se préoccuper de ce genre de cohérence dans sa vie. Lorsque quelqu'un cesse de se préoccuper en ce sens de son respect de lui-même, il perd sa dignité. (p.219/220)

  • La question de la dignité se pose toujours en référence à une image de soi et aux limites que celui-ci fixe à l'action. (p.221)

  • Les images que l'on a de soi, décisives pour le respect de soi, ne naissent pas dans le vide. Elles résultent de longs et lents processus d'éducation, de formation et de façonnement culturel, lors desquels les autres jouent un rôle important. Leur reconnaissance, leur respect contribuent à solidifier l'idée que je me fais de moi. Leur critique et leur mépris peuvent saper l'image que j'ai de moi et la saborder. (p.223)

  • Le respect de soi réside dans la vigilance qui accompagne toute décision. (p.237)

  • Être responsable de soi, c'est aussi s'assumer: assumer ses convictions, ses sentiments, sa volonté et tout son mode de vie. Cela implique la capacité et le courage de se démarquer des autres, ce qui, par ailleurs, implique la force de ne pas éviter les conflits. Le respect de soi est ici lié à l'absence de peur. (p.238)

  • Le respect de soi peut aussi consister pour quelqu'un à exiger ce qui lui revient à titre de prestation. (p.239)

  • VI. La dignité en tant qu'intégrité morale

  • Renoncer à satisfaire ses propres désirs au profit d'autrui : cela, seuls en sont capables des êtres ayant du recul pour s'évaluer, et une distance intérieure pour se contrôler- ce qui caractérise des sujets. Des êtres qui ne sont pas livrés sans défense au diktat de leurs désirs, tels des Impulsifs. Des êtres maîtres d'eux-mêmes, et non esclaves de leurs désirs. Des êtres, donc, capables de définir eux-mêmes lesquels de leurs désirs ils laissent déboucher sur les actions. (p.241/242)

  • La dignité du coupable résidera dans la manière dont il s'assume pour rapport à sa faute, et dans ce qu'il entreprend pour rétablir l'ordre moral perdu. (p.250)

  • Nelson Mandela a passé vingt-sept ans en captivité comme prisonnier politique. Lorsqu'il fut libéré, en signe de réconciliation, il tendit la main aux blancs qui lui avaient volé la moitié de sa vie. Il renonçait à une symétrie de la souffrance non seulement dans ses actes, mais aussi dans ses sentiments. la dignité qui habitait cette volonté de réconciliation était fondée sur sa capacité à pardonner. Sur sa disposition à laisser de côté l'injustice passée, sur sa force de le faire. Cela n'a été possible, chacun en conviendra, que parce que quelque chose de plus grand qu'une souffrance et des conflits personnels importait à Mandela : L'avenir paisible d'un pays. C'était si grand que même une demi-vie en prison pouvait sembler insignifiante. Et sans doute cela s'applique-t-il aussi au pardon à une moindre échelle: on passe par dessus les ombres d'une injustice passée afin de rendre un futur possible (p.256) (YF : je mets en gras)

  • Agir moralement, c'est aussi réduire la souffrance. (p271)

  • VII. La dignité ou le sens de l'important

  • Dans la vie d'un être humain, certaines choses représentent davantage que d'autres. Ce sont celles qui sont importantes pour lui. Ce sens de l'important est aussi une dimension de la dignité humaine, car il contribue à faire l'expérience que la vie a un sens. Se préoccuper des choses que l'on estime importantes fait naître le sentiment de qui l'on est et pour quoi l'on vit. (p.281)

  • Un sens à la vie... qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire ? (p.281)

  • VIII. La dignité en tant que reconnaissance de la finitude

  • Que faire pour défendre la dignité de ceux qui ne s'appartiennent plus ? (p.304)

  • Devenir aveugle, se serait la fin. La perte de l'orientation, aussi. Si je ne retrouvais plus seul le chemin de la maison ou ne savais plus me situer dans le temps et dans l'espace. Ça, ce serait de l'impuissance, la perte de l'autonomie, la dépendance. (p.306)

  • En tout cas, pour mourir dignement, on doit pouvoir faire ses adieux à ceux sans lesquels sa propre vie eût été différente. (p.317)

  • La meilleure raison pour ne pas se plaindre de la vie, c'est qu'elle ne retient personne. (p.327)

    (Buchet Chastel 2016 -Traduit de l'allemand par Nicole Thiers)


Titre original: Eine Art zu leben. Über die Vielfalt menschlicher Wûrde Carl Hanser Verlag, Mûnchen, 2013)

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dernière mise à jour : 26/05/2018 version: YF/05/2018